• Au pied de l'Everest (6ème partie) : l'odyssée blanche

    Lundi 25 avril 2011 - Gokyo (4 790m) - Dragnag (4 700m)

    Ce matin, c'est grasse matinée ! Enfin... si on tient compte des heures de lever des jours précédents. Le réveil est en effet fixé à 7h et le départ à 9h. Nous avons donc tout le temps nécessaire pour nous préparer tranquillement. Pourquoi tant de délicates attentions ? Tout simplement parce que la journée s'annonce assez courte avant de nous confronter demain à la deuxième difficulté de notre trek : le Cho La Pass.

    Il faut préciser que les deux prochains jours s'annoncent décisifs pour la poursuite normale du trek. Nous devons en effet franchir coûte que coûte le Cho La Pass demain matin, un col situé à 5 368m d'altitude. Pourquoi ? Parce qu'en cas de non franchissement de cette barrière montagneuse, nous devrons faire un immense détour pour rallier le camp de base de l'Everest. Le Cho La Pass est le chemin d'accès le plus direct depuis Gokyo. Il devrait nous permettre d'atteindre Gorak Shep, en dessous du camp de base de l'Everest, d'ici 3 jours. 3 jours de randonnées en hautes montagnes, dans des endroits extrêmement reculés et peu fréquentés, mais riches en émotions.

    Mais revenons au commencement. La journée commence sous les meilleurs auspices dans notre lodge de Gokyo. Un soleil radieux brille dans un ciel bleu dépourvu de nuages. Disposant d'un peu de temps libre avant le départ de la randonnée, je décide de monter avec un autre membre du groupe sur la moraine au-dessus du village. De là haut, nous avons une superbe vue panoramique à 360°. Nous apercevons tour à tour la langue terminale du glacier Ngozumba que nous traverserons tout à l'heure, le Cho Oyu (un sommet de 8 153m d'altitude séparant le Népal de la Chine), le Gokyo Ri dont nous avons fait l'ascension hier matin et le lac Dudh Pokhari au pied du lodge.

    Le glacier Ngozumba et sa moraine latérale avec des drapeaux à prière    Le glacier Ngozumba, sa moraine latérale et le Cho Oyu (8153m) au fond

    Le Gokyo Ri (5357m)    Vue sur le village de Gokyo (4790m) et le lac Dudh Pokhari (4750m)

    Notre convoi s'ébranle un peu avant 9h avec Dorje, notre guide, à sa tête. Pasang le siddar et Kazi l'assistant guide sont également de la partie comme les autres jours. Nous commençons par monter lentement sur la moraine. En chemin, un coup d'oeil en arrière me permet de voir le village de Gokyo s'éloigner. Dans mon champ de vision se trouvent également le Gokyo Ri et le Cho Oyu que nous venons de présenter. Une page de notre séjour est en train de se refermer.

    Vue sur le village de Gokyo (4790m), le lac Dudh Pokhari (4750m), le Gokyo Ri (5357m) et le Cho Oyu (8153m) au fond

    Dorje, Pasang et Kazi se mettent à la recherche du meilleur passage pour descendre sur la langue terminale du glacier Ngozumba. Les pentes de la moraine sont en effet très friables et connaissent des éboulis assez fréquents, le plus souvent mineurs. La faute à la langue du glacier qui peut se déplacer à tout moment de manière imperceptible ou plus brusque. Il faut rappeler qu'un glacier se caractérise par une masse incroyable qui s'appuie, frotte et fait pression sur les flancs de la montagne. La plupart des glaciers tendent donc à glisser sous l'effet de leur propre poids et arrachent tout sur leur passage y compris d'énormes blocs de pierre.

    Il s'agit par conséquent d'être prudent  lors de la brève descente de la moraine sous peine de faire une chute de quelques mètres. Heureusement, nos anges gardiens veillent.

    Le glacier Ngozumba, sa moraine latérale, le Gokyo Ri (5357m) et le Cho Oyu (8153m) au fond

    9h30 : ça y est, nous sommes de plein pied sur la langue du glacier Ngozumba. Celle-ci se révèle extrêmement minérale et austère, le sol étant jonché de cailloux, de blocs de pierre et de rochers de toutes les tailles. Des collines de pierres (et de glace) se dressent devant nous et illustrent le descriptif que nous venons de faire sur les glaciers.

    Nous poursuivons notre fuite en avant en grimpant sur une première colline. C'est dans ce contexte que nous sommes déjà rattrapés et dépassés par nos souriants porteurs sherpas.

    Ansering sur le glacier Ngozumba

    Plus nous avançons, plus le paysage devient insolite. Nous nous retrouvons isolés au milieu d'un désert de pierres et de glace vallonné qui fuit sur notre droite comme sur notre gauche. Nous apercevons de temps à autre une des moraines latérales (devant ou derrière nous) sans pouvoir évaluer précisément la distance qui nous en sépare. Le tableau est édifiant : comme nous pouvons paraître fragiles voire insignifiants dans ce milieu très particulier ! La moindre chute de pierre pourrait mettre un terme au périple de quiconque se trouve sur son chemin. Nous ne sommes pas pour autant des insouciants ou des casse-cous : notre guide connait parfaitement le chemin à emprunter et les zones dangereuses. Et puis des centaines de touristes et de locaux empruntent ce chemin cette année sans rencontrer le moindre problème.

    Le glacier Ngozumba et le Cho Oyu (8153m) lors de la traversée entre Gokyo (4790m) et Dragnag (4700m)    Le groupe sur le glacier Ngozumba lors de la traversée entre Gokyo (4790m) et Dragnag (4700m)

    Sommets et moraine au bord du glacier Ngozumba lors de la traversée entre Gokyo (4790m) et Dragnag (4700m)

    10h : nous effectuons une petite halte pour admirer de petits lacs glaciaires totalement givrés. Dorje nous donne quelques explications que j'ai oublié de noter. Puis, nous repartons pour une bonne demi-heure de marche.

    Un lac gelé sur le glacier Ngozumba lors de la traversée entre Gokyo (4790m) et Dragnag (4700m)

    10h30 : Nous touchons au but. Nous sommes à présent entourés de deux moraines, l'une sur notre droite, l'autre sur notre gauche. Nous cheminons dans une espèce de couloir et le sentier commence à s'incliner doucement.

    Le glacier Ngozumba et le Gokyo Ri (5357m) lors de la traversée entre Gokyo (4790m) et Dragnag (4700m)

    Il nous faut 10 minutes supplémentaires pour rejoindre le bord supérieur de la moraine. Les derniers mètres sont les plus difficiles (mais très abordables) à cause de la pente plus raide et de nos pieds qui glissent sur les éboulis. Nous pouvons alors mesurer le chemin parcouru depuis notre départ ce matin.

    Le glacier Ngozumba et le Gokyo Ri (5357m) à proximité de Dragnag (4700m)

    Après un quart d'heure de pause pour admirer le paysage, nous reprenons notre cheminement pour rallier Dragnag. Nous y parvenons vers 11h25 et découvrons un hameau blotti au creux de plusieurs collines. Il comporte plusieurs lodges et habitations séparés les uns des autres par les désormais traditionnels murets de pierre. Le village est quasiment désert si l'on fait abstraction de quelques yaks qui broutent ici ou là. On se sent vraiment dans un endroit très isolé, loin des centres urbains.

    Arrivée à Dragnag (4700m)    Le village de Dragnag (4700m), un yak et le sentier conduisant au Cho La Pass

    Nous rallions directement notre lodge et pénétrons dans la salle commune qui présente exactement la même configuration que celle des jours précédents. Tandis que nous prenons place autour d'une table et discutons du chemin parcouru, Pasang nous prépare un citron chaud pour nous ré-hydrater. Ce sera aussi notre apéro puisque le repas suit peu de temps après.

    Les fenêtres du lodge nous permettent de garder un oeil sur l'extérieur. Un yak semble particulièrement curieux à notre encontre et n'hésite pas à se rapprocher progressivement de notre fenêtre. Puis, aux alentours de 12h10, la neige commence à tomber. Quelques flocons dans un premier temps, puis le flot devient plus dense.

    Un yak dans le village de Dragnag    Chutes de neige sur le village de Dragnag (4700m)

    Le repas avalé, nous prenons possession de nos chambres. Nous avons quartier libre cet après-midi. Je me repose un peu, lit un petit moment dans la salle commune et, quand le temps commmence à s'éclaircir, je décide de sortir m'aérer un peu.

    Il n'est pas encore 14h. Je choisis de suivre le chemin que nous emprunterons demain matin pour rejoindre le Cho La Pass. Je me sens en pleine forme et grimper un peu plus haut me permettra de parfaire mon acclimatation et donc de mieux dormir ce soir. Je m'engouffre dans une espèce de gouttière où coule une petite rivière presque totalement gelée. Très vite le lodge disparait derrière un repli du terrain et je me retrouve seul. Le paysage est austère, désertique tout autour de moi. Point de silence pourtant, mais le bruit du vent et de l'eau qui s'écoule sur ma droite.

    Montée vers Cho La Pass depuis Dragnag et vue sur le pied du Chadoten (5065m)    Montée vers Cho La Pass depuis Dragnag

    Le chemin est bien tracé et j'ai l'impression de progresser assez vite. Malheureusement, les nuages s'amoncellent peu à peu en amont de ma position et commencent à descendre vers la vallée. Une fine bruine les accompagne. Je décide de rebrousser chemin, conscient des dangers que la montagne fait courir aux imprudents.

    Sur le chemin du retour, je prends pourtant le temps d'observer tout ce qui m'entoure et notamment les sculptures de glace. Elles sont la résultante d'un processus lent mais constant et prennent des formes variées en fonction des contraintes exogènes (relief, vent, ...).

    Stalagtites dans la rivière longeant le chemin vers le Cho La Pass    Cascade de glace à proximité du chemin vers le Cho La Pass

    En cours de descente, je traverse la rivière et suit les sentes tracées vraisemblablement par les yaks. Elles me conduisent jusqu'au village que je traverse intégralement. Le temps étant meilleur ici, je décide en effet de rejoindre la moraine à une centaine de mètres. Une nouvelle petite grimpette récompensée par une nouvelle vue sur la langue terminale du glacier Ngozumba.

    Vue sur le glacier Ngozumba, ses lacs et lacs glaciaires depuis la moraine    Vue sur le glacier Ngozumba, ses lacs et lacs glaciaires depuis la moraine

    Cet amas de pierres et de glace est décidément impressionnant. Plein de contrastes aussi : le blanc immaculé de la glace et le gris minéral des roches et des pierres, la force brute qui ressort de cette accumulation de pierres et la fragilité qui se perçoit au travers de l'érosion des pentes de la moraine, ...

    De l'autre côté, la vue sur le village de Dragnag vaut tout autant le coup car elle vient confirmer ce sentiment d'isolement et de solitude. Comment des êtres humains peuvent-ils choisir de s'installer ici, loin de tout confort et de conditions de vie plus faciles ? Pourquoi à cet endroit précis ?

    Vue sur le village de Dragnag (4700m) et ses environs depuis la moraine

    Je reste assis au sommet de ce mirador matérialisé par un cairn une bonne demie-heure, livré à mes réflexions. Puis je regagne lentement le lodge où je parviens à 16h. Je reprends ma lecture et la rédaction de mon carnet de voyage. L'après-midi se termine par des parties de Uno qui durent jusqu'au repas pris assez tôt. Nous nous couchons en effet de bonne heure étant donné que la journée de demain sera longue. Dorje aura le dernier mot avec le briefing de l'étape à venir. Bonne nuit !

     

    Mardi 26 avril 2011 : Dragnag (4 700m) - Dzongla (4 840m)

    Notre lever a été fixé hier soir à 4h45 du matin pour un départ effectif une heure plus tard. La consigne est respectée à la lettre et nos sacs sont rapidement prêts sachant que nous avons eu toute l'après-midi d'hier pour nous préparer. Nous amorçons ce matin notre 11ème journée de voyage en tenant compte du vol international, et notre 9ème journée de marche depuis le début de ce trek. Tous les membres du groupe semblent bien se porter et physiquement capables de continuer notre périple. Tant mieux puisque cette journée s'annonce déterminante pour la suite avec le franchissement d'un col à plus de 5 400m d'altitude.

    5h45 : Lorsque nous quittons le lodge, la nuit a déjà cédé la place à un très beau ciel bleu. La vallée dans laquelle nous nous trouvons reste néanmoins temporairement baignée dans la pénombre étant donné que le soleil n'a pas encore franchi les sommets vers lesquels nous nous dirigeons. Nous commençons d'emblée l'ascension qui va nous conduire vers le col de Cho La. Pendant quelques minutes, je retrouve le chemin emprunté seul hier après midi.

    Montée vers Cho La Pass depuis Dragnag (ascension vers le 1er col) et vue sur le Chadoten (5065m) et le Kyajo Ri (6186m) 

    Je me trouve conforté dans les images que j'ai gardées de ma courte balade d'hier : nous évoluons dans une sorte de "gouttière" assez austère car très minérale. Tout autour de nous, il n'y a quasiment que des éboulis et de la poussière. Heureusement, une petite rivière se fraye un chemin au centre de la "gouttière" et l'écoulement de l'eau produit un bruit apaisant et rassurant au milieu de cette nature morte. Pour compléter le tableau, il faut mentionner les quelques névés résiduels et les portions de rivière gelée qui rappellent que nous sommes en haute altitude.

    Montée vers Cho La Pass depuis Dragnag (ascension vers le 1er col) 

    6h45 : nous avançons très lentement en suivant le rythme dicté par Dorje et Kaji. Malgré notre bonne acclimatation, il ne faut pas presser le pas afin de se prémunir contre un possible mal d'altitude lors de l'ascension du col tout à l'heure. La montée est par ailleurs ininterrompue depuis le départ. Bien qu'elle soit très progressive et régulière, il faut donc doser son effort aussi minime soit-il pour le moment. Nous avons pleinement le temps de contempler le paysage qui nous entoure. Je focalise mon attention sur la course du soleil qui illumine maintenant le fond de la vallée. Sur notre gauche, les ombres des montagnes sont apparues et se rapprochent de plus en plus de nous. Le soleil ne devrait pas tarder à émerger sur notre droite et à réchauffer l'atmosphère.

    Montée vers Cho La Pass depuis Dragnag (ascension vers le 1er col) 

    Nous atteignons un léger replat peu avant 7h. Nous apercevons de là la fin de la première montée de la journée. Nous nous engageons sur un névé et marquons une petite pause. J'en profite pour discuter avec Pasang qui m'explique que des panthères des neiges ont déjà été aperçues dans la région. Il est cependant très rare d'apercevoir cet animal solitaire.

    Montée vers Cho La Pass depuis Dragnag (ascension vers le 1er col)    Kaji et le groupe dans la montée vers Cho La Pass depuis Dragnag (ascension vers le 1er col)

    7h30 : le 1er col de la journée n'est plus très loin. En me retournant, je peux apprécier le chemin parcouru depuis ce matin : la langue terminale du glacier Ngozumba se devine tout au fond de la vallée et notre lodge était situé entre elle et le début du sentier que nous empruntons maintenant. Ce sont néanmoins les deux sublimes sommets enneigés sur notre droite qui attire toute mon attention. Quelle majesté ! Leur masse imposante, la puissance qu'ils dégagent, leur blancheur forcent l'admiration et déclenchent immédiatement une sensation d'humilité. De sérénité aussi, ces colosses apparaissant bienveillants sous le soleil de début de journée.

    La partie finale de la montée vers le 1er col du Cho La Pass depuis Dragnag    Vue sur deux sommets enneigés depuis le 1er col de la montée vers Cho La Pass

    Au bout du chemin, la pente s'inverse brusquement et dévoile une nouvelle haute vallée avec en arrière-plan une nouvelle barrière montagneuse. Nous sommes arrivés au premier col et sommes accueillis par un crâne de yak plein d'inscriptions. Nos porteurs font une pause, nous aussi. Dorje nous indique le Cho La Pass en face de nous (le passage en creux sous les nuages et au-dessus de la corne droite du yak, légèrement en diagonale) et le chemin qui y mène. Les nuages sont bas et menaçants mais nous devrions pouvoir passer. Une chose est sûre, l'ascension se fera par contre les pieds dans la neige et dans les éboulis.

    Le 1er col de la montée du Cho La Pass et vue sur la deuxième partie de l'ascension 

    8h : cela fait 2h15 que nous sommes partis mais c'est maintenant que commence véritablement notre étape. Une question trotte dans ma tête : l'ensemble du groupe arrivera-t-il là haut ou certains de nous devront-ils faire l'énorme détour pour contourner le col ? Je suis plutôt confiant face à l'expérience de nos amis népalais.

    La descente du 1er col est très rapide car dégagée et bien balisée. Nous sommes presque sur une autoroute. Plus nous avançons, plus la barrière montagneuse se dresse à la verticale. L'obstacle est réellement impressionnant, mais le défi à relever s'annonce excitant et passionnant.

    Le groupe cheminant vers le Cho La Pass (5368m)

    Le marcheur n'a pas une minute de répit, ses sens étant sollicités en permanence. Plein de petits détails attirent mon attention : le silence rompu seulement par le bruit du vent et le gazouilli d'un petit moineau, nos porteurs qui réalisent un exploit à mes yeux (ils portent environ 40 kilos sur tous les chemins avec seulement des baskets ordinaires), la transition brutale entre le chemin de terre et la zone d'éboulis, Pasang qui dépose discrètement une pierre sur un cairn (un geste universel !), le fond de la vallée qui fuit vers le lointain, ... A cela, il faut rajouter que nous progressons vers l'inconnu : chaque repli de terrain dévoile un nouvel angle de vue sur le paysage dans lequel nous évoluons. Qu'y a-t-il en haut et derrière le Cho La Pass ? Cela reste un mystère pour l'instant, mais un mystère fascinant.

    Nos 3 porteurs gravissant le pierrier au pied du Cho La Pass (5368m)    Un moineau bien téméraire

    Pasang sur le pierrier au pied du Cho La Pass (5368m)    Vue sur le pierrier s'étalant au pied du Cho La Pass (5368m) en direction de la vallée

    8h45 : c'est le début de l'ascension. Il n'aura plus que de la montée dorénavant. L'objectif semble tout proche mais ce ne sont que des apparences. Nous avons repéré plusieurs groupes de trekkeurs en amont de nous et tous ont la taille de fourmis. Leur progression est extrêmement lente, signe de la difficulté relative de l'ascension. Il faut dire que la neige verglacée par endroit ne nous facilite pas la tâche.

    Début de l'ascension du Cho La Pass (5368m) 

    Le temps est comme suspendu. Tout semble bouger au ralenti, nous y compris. Nous sommes bien loin du rythme trépidant de la vie parisienne. Chaque pas nous rapproche cependant de l'objectif final. On ne peut pas dire que l'exercice soit difficile mais il nécessite une vigilance permanente. La marche au milieu des éboulis peut rapidement conduire à la faute si l'on ne fait pas attention.

    9h08 : Nous découvrons sur notre gauche le fond de la vallée que nous avons traversée il y a quelques dizaines de minutes. Celui-ci est tout aussi pierreux mais pratiquement plat vu d'ici. Cela fait plusieurs jours que nous n'avons pas eu l'occasion de voir une aussi grande "esplanade". En attendant, le pied de la montée finale approche. On discerne bien désormais les silhouettes des trekkeurs qui nous précédent.

    La montée vers le Cho La Pass (5368m)    Panorama sur les environs depuis la montée vers le Cho La Pass (5368m)

    Début de l'ascension du Cho La Pass (5368m)

    9h17 : nous nous retrouvons au pied du mur. J'ai encore plein d'énergie, mon souffle et mon rythme cardiaque semblent bons compte tenu l'altitude, et Dorje avance à un rythme qui me convient parfaitement. Tous les voyants sont donc au vert de mon côté. Quelques membres du groupe semblent un peu plus fatigués mais progressent vaillamment.

    L'ascension du Cho La Pass (5368m)

    9h30 : l'ascension se poursuit. La pente est devenue impressionnante depuis quelques mètres. Je serai curieux de connaître le dénivelé à cet endroit précis. En tout cas, je suis heureux de pouvoir prendre appui sur mes bâtons de marche car la neige du chemin est tassée et les risques de dérapage sont maximum. L'adhérence des chaussures de randonnées a ses limites.

    L'ascension du Cho La Pass (5368m)

    9h55 : nous avons parcouru la moitié du chemin (sans doute un peu plus), et le mur est maintenant derrière nous. La pente vient en effet de se radoucir et notre champ de vision se dégage. Nous nous sommes rapprochés du groupe qui nous précédait. Le col semble surtout à portée de vue ... à moins que ce ne soit qu'une illusion. Je me sens toujours en pleine forme grâce au rythme adéquat et aux conseils de Dorje et Pasang. Nous effectuons aussi des pauses régulières pour nous reposer, admirer un peu le panorama et immortaliser le paysage.

    L'ascension du Cho La Pass (5368m)

    Sangay et Ansering, deux de nos jeunes porteurs, sont redescendus à notre hauteur pour assister nos compagnons qui ferment la marche. Non pas qu'ils soient fatigués, mais le souffle leur manque d'après leur témoignage. Ce n'est guère étonnant sachant qu'à plus de 5 000m d'altitude, l'air contient près de deux fois moins d'oxygène qu'au niveau de la mer. Chaque effort se heurte donc à nos capacités pulmonaires limitées. Et puis, c'est comme partout : il y a des jours avec et des jours sans. Certains jours, vous enchainez les kilomètres sans vous en apercevoir alors que d'autres vous devez lutter contre vous mêmes pour mettre un pied devant l'autre. Heureusement nos anges gardiens veillent...

    Sangay nous attend lors de l'ascension du Cho La Pass (5368m) 

    10h15 : nous touchons au but et marquons un ultime arrêt pour admirer le panorama montagneux qui s'étend sous nos yeux. Dans mon esprit, nous sommes encore pour quelques instants dans la région de Gokyo, puis nous allons basculer vers la région de l'Everest juste après le col. Une page se tourne, une nouvelle est à écrire. Nous sommes à une période de transition.

    Panorama sur les environs lors de la montée vers le Cho La Pass (5368m)    Panorama sur les environs lors de la montée vers le Cho La Pass (5368m)

    10h20 : Nous atteignons le col de Cho La Pass dont nous avons tant parlé depuis deux jours. Nous sommes à 5 368m, soit près de 500m au-dessus du Mont-Blanc.

    Le sommet du Cho La Pass (5368m)

    Je découvre un paysage insoupçonné et inédit pour le jeune voyageur que je suis. Sur ma gauche et ma droite s'élèvent deux hauts sommets saupoudrés de neige et de glace. Le col n'est en effet qu'un passage au milieu d'une haute chaîne montagneuse, presque le point le plus bas. Je m'étais imaginé un haut sommet arrondi et balayé par des vents violents faisant flotter des drapeaux à prières. Sous mes yeux, en face de moi, je découvre un glacier colossal et immaculé. Il occupe le fond de ce que je crois être un cirque. C'est le chemin que nous allons emprunter pour redescendre dans la nouvelle vallée, mais ça je l'ignore encore.

    Panorama depuis le Cho La Pass (5368m)    Panorama depuis le Cho La Pass (5368m)

    Le glacier au sommet du Cho La Pass (5368m)

    Lors de notre court séjour à Namche Bazar, C., la seule femme du groupe, et moi-même avons chacun acheté un lot de petits drapeaux à prières népalais. Il s'agit de petits morceaux de tissus rectangulaires et colorés, reliés entre eux par groupe de cinq à l'aide d'un fil. Dans tous les lots, les cinq drapeaux portent cinq couleurs différentes toujours rangées dans le même ordre : le bleu (symbole du ciel), le blanc (symbole de l'air et des nuages), le rouge (symbole du feu), le vert (symbole de l'eau) et enfin le jaune (symbole de la terre). Chaque lot doit ensuite être accroché aux autres pour constituer au final une bande de plusieurs mètres de long. Ajoutons que chaque drapeau est imprimé, comme son nom l'indique, de prières bouddhiques dont l'incontournable mantra sacré "Om Mani Padmé Hum".

    Nous avons acheté ces drapeaux à prières avec pour objectif de les déposer au faîte de l'un des cinq sommets que nous envisagions d'atteindre. Cela fait maintenant plusieurs jours que j'ai décidé de déployer les miens ici même. Le Cho La Pass est en effet situé sur une route beaucoup moins fréquentée que les 4 autres sommets de notre trek. Il apparait donc à mes yeux plus reculé, plus naturel, plus "brut", plus proche de l'idée que je me fais de l'Himalaya. La neige et le vent qui souffle me confortent dans ma décision que c'est le bon endroit.

    Les drapeaux à prières ont la même fonctionnalité que les moulins à prières, à savoir : réciter des prières pour accumuler des mérites en vue de la réincarnation. Dorje nous a expliqué qu'en nouant des drapeaux à prières au sommet d'une montagne, ceux-ci sont normalement agités par le vent. Or lorsque les drapeaux flottent au vent, les prières qu'ils comportent se trouvent récitées au profit de ceux qui ne peuvent se déplacer jusqu'ici. Je ne suis pas bouddhiste, mais en tant que catholique et citoyen du monde, je suis sensible à cette démarche de réaliser une action au profit d'autres personnes moins favorisées.

    Je souhaite également accrocher les drapeaux à prières ici car ce col est le seul point de passage obligé de notre circuit. Comme je l'ai déjà dit plusieurs fois, si nous n'avions pas pu atteindre ce point de basculement entre deux vallées, notre programme initial en aurait été fortement chamboulé. Je souhaite donc marquer notre passage, notre ascension réussie et surtout adresser des remerciements. Remerciements à la Nature qui nous a permis de grimper jusqu'ici, remerciements à notre formidable équipe de guides et porteurs sans qui nous n'aurions jamais réussi l'ascension, à mes compagnons de voyage qui ont, pour certains, pris sur eux-mêmes pour avancer.

    Pour le remercier et exprimer mon respect à l'égard de sa culture sherpa, je décide de confier à Pasang le soin de fixer les drapeaux à prières. Je sors ceux-ci de mon sac et en assemble une partie (l'autre incombant à Pasang lui-même). Involontairement, je commets une erreur dans l'enchaînement des couleurs mais je ne m'en apercevrai que trop tard. Je demande ensuite Pasang de suspendre les drapeaux et de m'expliquer ce qu'il fait. Nous grimpons quelques mètres au-dessus du col et Pasang commence à accrocher une des extrémités à un robuste cairn. Ce faisant, il psalmodie une prière appropriée. Il tend le filin le plus possible et accroche l'autre extrémité à un autre drapeau à prières. La "cérémonie" est achevée et l'"ouvrage" peut remplir son office.

    Pasang installe mon drapeau à prière au sommet du Cho La Pass (5368m)    Pasang installe mon drapeau à prière au sommet du Cho La Pass (5368m)

    10h40 : la pause destinée à récupérer, se réhydrater et se restaurer touche à sa fin. L'équipe népalaise discute de la seconde partie de l'étape. Pasang et Chopel donnent leurs derniers ordres et conseils aux plus jeunes, qui partent cinq minutes plus tard. Leur progression sur le glacier constitue une scène magique car presque irréelle. On se croirait dans un film. D'autant plus que des flocons de neige commencent à tomber de manière éparse.

    Notre équipe népalaise au sommet du Cho La Pass (5368m)    Nos porteurs traversant le glacier au sommet du Cho La Pass (5368m)

    A peine ont-ils disparu que nous leur emboitons le pas. Il faut d'abord descendre une petite falaise haute de quelques mètres. Impossible de sauter car nous risquons fortement de nous faire mal. Nous pouvons compter sur une étroite corniche où il y a tout juste de la place pour placer nos deux pieds. Nous prenons appui sur la paroi et mettons un pied devant l'autre. Il nous faut 8 minutes pour tous passer. J'avoue que j'ai un peu ralenti notre troupe sur la partie supérieure.

    Préparatifs pour la traversée du glacier au sommet du Cho La Pass (5368m)    Première difficulté dans la descente du Cho La Pass (5368m)

    10h55 : nous reprenons la marche et commençons par traverser le glacier. Les chutes de neiges s'étant intensifiées, l'ambiance est féérique. Nous progressons ainsi, plongés dans nos pensées, pendant une quinzaine de minutes. Nous nous dirigeons progressivement vers un petit goulot qui descend vers la nouvelle vallée où nous passerons la nuit.

    Traversée du glacier du Cho La Pass sur la route vers Dzonglha    Traversée du glacier du Cho La Pass sur la route vers Dzonglha

    Traversée du glacier du Cho La Pass sur la route vers Dzonglha 

    11h15 : la pente commence à s'incliner, des vallons à se former. Sur notre gauche, le glacier décroche brusquement, ce qui nous permet de nous faire une idée de sa hauteur. Nous continuons d'avancer en file indienne, en prenant soin de nous appuyer sur nos bâtons pour ne pas déraper.

    Le glacier du Cho La Pass sur la route vers Dzonglha

    11h21 : nous débouchons sur un joli promontoire qui nous offre un très beau panorama montagneux. Nous y croisons un groupe de jeunes russes qui font apparemment du camping. Dorje nous explique que nous devons encore marcher une bonne heure avant d'arriver au lodge et que nous devrons redescendre presque en bas de cette vallée demain pour récupérer la Everest Highway. Celle-ci nous conduira au pied du toit du monde en un peu moins d'une journée.

    Petite halte sur la route vers Dzonglha    Une vallée à traverser lors de la descente vers Dzonglha depuis le Cho La Pass

    11h45 : Nous évoluons avec les Russes dans un couloir pierreux à fort dénivelé. Nous restons au maximum en file indienne et sur nos gardes pour éviter tout faux mouvement. Nous sommes en revanche contraints de dépasser les Russes qui sont génés dans leurs mouvements par leurs affaires volumineuses (leurs tentes notamment). Parfois, il est aussi nécessaire de poser les mains et les fesses par terre lorsqu'un rocher entrave la voie. Mieux vaut ne pas sauter afin d'éviter toute blessure stupide.

    La descente vers Dzonglha depuis le Cho La Pass

    12h05 : Au fil de nos pas, le paysage change sensiblement. La neige ne tient plus sur le sol malgré les fortes chutes à certains moments. L'herbe refait aussi son apparition. Avec elle, c'est la vie qui reprend le dessus sur le monde de pierres, de roches et de glace que nous avons traversé. Nous touchons au but et cela se sent.

    La descente vers Dzonglha depuis le Cho La Pass    La descente vers Dzonglha depuis le Cho La Pass

    La descente vers Dzonglha depuis le Cho La Pass

    Soudain, la neige se remet à tomber, drue. La visibilité se réduit considérablement et nous rallions ainsi le lodge sous les bourrasques. Nous y parvenons vers 13h; le mauvais temps va persister toute l'après-midi. Pasang commence par nous servir sa boisson chaude citronnée pendant que Dorje procède à la distribution des chambres. La chambre dont nous écopons (comme toutes les autres) est pour le moins sommaire : cinq plaques de contreplaqué en incluant le plafond. Il y fait froid, très froid : de la buée sort en permanence de notre bouche. Il y fait aussi sombre et il n'y a pas d'eau. Je ne suis d'habitude pas difficile et exigeant sur le logement, mais cette fois-ci je trouve que le lodge est vraiment déprimant. J'aurais même préféré dormir sous la tente, c'est dire. Le déjeuner passe très rapidement si bien que nous avons une bonne partie de l'après-midi de libre. Je reste dans la salle commune pour échapper à la tristesse de la chambre mais je trouve que les autres randonneurs ont tous, à quelques exceptions près, la mine plus patibulaire les uns que les autres. L'ambiance me semble moins détendue que les autres jours, l'accueil moins chaleureux et plus impersonnel. C'est dans ce contexte que l'après-midi s'écoule beaucoup trop rapidement à mon goût.

    Tous les membres du groupe me rejoignent vers 18h pour une courte séance de Uno suivie du repas. Tous partagent la même impression que moi sur l'atmosphère bizarre. Nous filons vite nous coucher dans nos sacs de couchage. C'est l'heure du bilan : la matinée a été aussi belle et appréciable que l'après-midi est à oublier. Vivement demain pour de nouvelles aventures...


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