• Au pied de l'Everest (5ème partie) : ascension du premier "5000" himalayien

    Dimanche 24 avril 2011 - Gokyo (4 790m) > Gokyo Peak (5 360m) > Gokyo

    Le programme de la journée tient en deux mots succincts : Gokyo Peak. La brièveté de ce descriptif, son apparence anodine ne permettent pas d'en saisir pleinement la portée qu'elle revêt pour nous ce matin. Ces deux mots - Gokyo Peak - marquent en effet à la fois un aboutissement, une concrétisation et un commencement. Explications...

    Cela fait plusieurs semaines et même plusieurs mois que j'ai choisi de participer à ce trek. J'ai commencé par écumer les catalogues des différentes agences d'aventures françaises, j'ai lu de manière approfondie les circuits qu'elles proposaient et j'ai eu un coup de coeur pour ce parcours de trois semaines. Il présentait à mes yeux plusieurs atouts :

    - la découverte d'une région mythique : l'Himalaya et notamment le pays sherpa. Plusieurs documentaires et films m'avaient permis de découvrir quelques images de cette destination. La réalisation par mon frère d'un trek dans le massif des Annapurnas l'an dernier a fini de me convaincre (un récit de ce trek est disponible dans les carnets de voyage à gauche de votre écran).

    - la dimension humaine : ce voyage était une opportunité de partir à la rencontre de nouvelles cultures et de cotoyer des gens au mode de vie bien différent du mien. Le guide qui nous accompagnerait nous fournirait sans doute quelques explications permettant de percevoir quelques aspects du quotidien des habitants. L'aspect humain, c'était aussi le partage de cette expérience de marche avec les autres membres du groupe européens et népalais.

    - le défi physique enfin : c'était la première fois que je m'inscrivais à une randonnée pédestre de trois semaines. Je souhaitais donc savoir si j'en étais capable physiquement et aussi psychologiquement (car étant sujet au vertige). En effet, même si j'étais en bonne forme physique, ma précédente et première ascension d'un sommet de plus de 5 000m s'était soldée par un semi-échec : j'avais péniblement grimpé jusqu'à ce palier symbolique mais avais ensuite renoncé à atteindre le sommet quelques dizaines de mètres plus haut du fait d'un début de mal des montagnes. Ce circuit m'offre donc la possibilité de me dépasser et de gravir, si je le peux, non pas un mais cinq sommets consécutifs.

     

    Après 6 jours de marche à travers la région du Haut-Khumbu, nous voilà donc au pied de notre 1er sommet, le Gokyo Peak. C'est l'aboutissement de longs mois d'attente et la concrétisation de tous les efforts que nous avons accompli ces derniers jours. Dans le même temps, tout reste encore à faire : il nous faut grimper jusqu'au sommet de cette montagne et peut-être que quelques uns d'entre nous n'y parviendrons pas.

    Le programme de l'agence se veut rassurant : "La journée est consacrée à l'ascension Du Gokyo Peak. Le cheminement est facile, par le versant sud". Et puis, nos accompagnateurs sont très expérimentés. Nous avons néanmoins croisé lors de la montée jusqu'ici des trekkeurs français obligés de faire demi-tour pour raison de santé. Advienne que pourra... mais le défi vaut le coup d'être relevé.

    * * *

    La journée commence tôt, très tôt. A 4h du matin précisément. Il fait encore nuit dehors mais nous devons nous préparer car le départ est prévu pour 5h15. Ces horaires n'ont rien d'exceptionnels. Comme j'ai pu en juger à chacune des ascensions que j'ai réalisée depuis, le départ se fait presque toujours de nuit. Cela permet de ne pas trop souffrir de la chaleur et de ses conséquences. Cela permet aussi de limiter le poids du sac puisque nous prenons le petit déjeuner avant d'amorcer l'effort et que nous devrions être de retour pour le déjeuner. Il nous suffit d'emporter des vêtements pour faire face à un possible changement météo, des boissons (chaudes de préférence) et des aliments énergétiques.

    5h15 : lorsque tout le monde est prêt, nous nous mettons en file indienne derrière Dorje, notre guide. C'est lui qui dictera le tempo. Il ne faut aller ni trop lentement pour ne pas s'exposer à des changements des conditions climatiques, ni trop vite pour ne pas dépenser toute son énergie et avoir le souffle court. Pasang et Kaji nous accompagnent, l'assistant guide fermant la marche.

    Nous sommes à 4 790m d'altitude et notre objectif du jour se trouve à 5 360m, ce qui correspond donc à un dénivelé positif de 570m. Cela peut sembler minime pour quiconque n'a pas l'habitude de la marche en montagne, mais il va nous falloir plusieurs heures pour boucler l'ascension. D'autant plus qu'un facteur imprévu est venu compliquer notre ascension : la neige. Tombée hier après-midi, elle couvre toute la région de son mince manteau blanc. Il faudra donc être prudent et utiliser nos bâtons de marche pour ne pas déraper. Point positif, le jour se lève beaucoup plus tôt grâce à elle, et la luminosité est assez exceptionnelle.

    La marche commence par une petite descente jusqu'aux berges du lac. Puis, il faut traverser une petite étendue d'eau en marchant sur des pierres plates disposées à intervalles réguliers. Ce n'est qu'après ce premier obstacle que nous amorçons la montée proprement dite, lampe frontale vissée sur la tête. Nous formons une colonne de lumières dans la nuit. D'autres se situent plus haut au-dessus de nos têtes. Ce sont les éclairages des trekkeurs partis avant nous. Quel beau spectacle !

    Les premiers mètres sont vraiment raides, puis la pente s'adoucit lorsque nous rejoignons le bon sentier.

    5h38 : Le jour est levé, le soleil pas encore. Il est toujours caché derrière les montagnes pour le moment. Nous avons rangé nos lampes frontales et progressons à un rythme lent et constant. Cela me permet de profiter du paysage environnant tout en continuant d'avancer. Au fil des minutes qui s'écoulent, le paysage prend du relief et de la profondeur. La neige ajoute à ce dernier une touche de magie supplémentaire :

    Le lac Dudh Pokhari à l'aube (4750m)    Le lac Dudh Pokhari (4750m) et le village de Gokyo (4790m) à l'aube vus depuis les flancs du Gokyo Ri

    Nous progressons lentement et pour une fois cela me convient. Je repense à ma précédente expérience d'ascension où la descente avait été un enfer à cause d'un début de mal des montagnes et de la perte de toutes mes forces. Il m'avait fallu deux bonnes journées pour m'en remettre. Aujourd'hui, je sens que ce sera différent. Notre acclimatation est bien meilleure et Dorje impose le bon rythme. Je devrais donc en théorie avoir suffisamment d'énergie pour redescendre sans problème.

    Peu avant 6h, nous découvrons la langue terminale du glacier Ngozumpa qui surgit derrière le village de Gokyo au pied des montagnes.

    Le lac Dudh Pokhari (4750m), le village de Gokyo (4790m) et le glacier Ngozumba vus depuis les flancs du Gokyo Ri

    Il s'agit d'un champ de pierres très valloné que nous traverserons demain pour nous rapprocher du camp de base de l'Everest. Dorje marque une halte et nous explique que les hauteurs de Gokyo sont en fait la moraine latérale de ce glacier Ngozumpa. En clair, ce glacier, qui pèse très lourd, glisse lentement vers le fond de la vallée. En glissant, il arrache tout sur son passage et notamment des rochers de plusieurs tonnes. Ces rochers sont poussés par le front du glacier et sur les côtés. La langue terminale qui apparait sous nos yeux correspond donc aux débris situés à l'avant du glacier tandis que la moraine correspond aux débris latéraux. Aucun mouvement n'est bien entendu perceptible mais je suis frappé par la force du glacier qui a créé cette "coulée" minérale.

    6h15 : nous assitons au lever du soleil derrière un sommet enneigé. Comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, la luminosité est déjà forte à cause de la neige et on pourrait se croire en pleine journée. Nous sommes cependant à l'aube et le disque solaire commence seulement à se dévoiler.

    Lever du soleil sur les flancs du Gokyo Ri

    6h45 : nous avons gagné en altitude et ça se voit. Le village de Gokyo est désormais tout petit en contrebas et la langue terminale du glacier Ngozumpa s'est élargie. La pente est impressionnante : on croirait qu'elle décroche à quelques dizaines de mètres de notre position et c'est pourtant par là que nous sommes montés. Et que dire de la verticalité des sommets qui nous entourent...

    Le lac Dudh Pokhari (4750m), le village de Gokyo (4790m), le glacier Ngozumba et les sommets himalayiens vus depuis les flancs du Gokyo Ri

    8h15 : nous atteignons des cairns reliés entre eux par des drapeaux à prières. Le sommet est tout proche... Cela fait maintenant 3 heures que nous avons quitté le lodge et ça va plutôt bien sur le plan physique. Pas d'épuisement généralisé comme la dernière fois. Je commence juste à avoir un petit mal de tête mais celui-ci est tout à fait supportable et normal compte tenu de l'effort en cours.

    Drapeaux à prière au sommet du Gokyo Ri (5357m) - vue sur les lacs Taujung Tsho (4740m) et Dudh Pokhari (4750m), sur le village de Gokyo (4790m) et le glacier Ngozumba

    8h30 : nous parcourons les derniers mètres qui nous séparent du sommet et félicitons chacun de nous. Puis nous prenons une pause bien méritée durant laquelle nous nous ravitaillons et nous reposons un peu. Nous contemplons surtout l'incroyable panorama qui se dresse à 360° et nous faisons des photos pour immortaliser ce moment.

    Kaji et drapeaux à prière au sommet du Gokyo Ri (5357m)    Drapeaux à prière au sommet du Gokyo Ri (5357m)

    Vue sur les lacs Taujung Tsho (4740m) et Dudh Pokhari (4750m), sur le village de Gokyo (4790m) et le glacier Ngozumba depuis le Gokyo Ri (5357m)

    Peu après 9h, nous amorçons la descente. Je suis très vite frappé par la vitesse avec laquelle la neige a fondu. On ne se croirait pas sur le même chemin que ce matin. Jugez-en par vous-même :

    Vue sur le lac Dudh Pokhari (4750m), le village de Gokyo (4790m) et le glacier Ngozumba depuis le flanc du Gokyo Ri (5357m)

    Nous arrivons au lodge aux alentours de 11h. La descente a été rapide et efficace, et mon mal de tête a disparu. Nous avons quartier libre pour cet après-midi, mais nous allons auparavant prendre un déjeuner revigorant.

    13h : alors que la plupart des autres membres du groupe décident de se reposer dans leur chambre en vue de l'étape de demain, je choisis de ressortir explorer les environs. Autant profiter à fond de ma présence ici car je ne sais pas si j'aurais l'occasion de revenir un jour. Je monte d'abord sur les hauteurs de Gokyo en direction de la langue terminale du glacier Ngozumpa. Je dispose ainsi d'une belle vue sur le lac Dudh Pokhari et le village en contrebas, ainsi que d'un panorama impressionnant sur le gigantesque pierrier.

    Vue sur le village de Gokyo (4790m) et le lac Dudh Pokhari (4750m)    Le glacier Ngozumba et sa moraine latérale

    13h30 : je redescends jusqu'aux berges du lac et envisage de rallier la rive opposée en le contournant par la droite, c'est-à-dire par les flancs du Gokyo Peak. Les chemins ne manquent pas tracés semble-t-il par les animaux en quête de pâturages. Ils montent et descendent ou oscillent en permanence à l'image de montagnes russes, et épousent parfaitement le relief.

    Tandis que je progresse assez rapidement, le temps change lui aussi très vite, et les flocons ne tardent pas à refaire leur apparition.

    Chute de neige sur le village de Gokyo (4790m) et le lac Dudh Pokhari (4750m)

    14h15 : je continue d'avancer tout en gardant un oeil sur les gros nuages blancs. Au détour d'un virage, je remarque en amont de ma position une perdrix choukar. J'en avais déjà aperçu plusieurs ces derniers jours mais jamais d'aussi près. L'animal possède un ramage bariolé avec une tâche orange près des yeux, dans le prolongement de son bec très court. Il est plutôt bien en chair malgré la haute altitude, signe que la nourriture ne manque pas pour lui dans les environs.

     Une perdrix choukar

    Quelques mètres plus loin, je tombe presque nez à nez avec un imposant yak blanc. Celui-ci paisse tranquillement à flanc de montagne. Je m'arrête pour ne pas l'effrayer ou le déranger. Je me remémore alors des images du film "Himalaya, l'enfance d'un chef" où apparaissait un yak similaire.

    Un yak broutant au-dessus du lac Dudh Pokhari

    Un peu plus loin encore, je jette un coup d'oeil en arrière et remarque que la visibilité se dégrade et que les nuages enflent. Je décide de rebrousser chemin après avoir pris en photo un joli petit bouquet de primevères. Il me faut 20 minutes pour revenir au bas de la descente du Gokyo Peak. A cet endroit, les reflets dans le lac Dudh Pokhari sont sympatiques.

    Vue sur le village de Gokyo (4790m) et le lac Dudh Pokhari (4750m)    Primevères

    Reflet sur le lac Dudh Pokhari (4750m) et sentier au pied du Gokyo Ri

    Je termine ma promenade par un nouveau petit tour sur la moraine, puis je regagne le lodge après 3 heures de marche. Je mets à profit la fin de l'après-midi pour ranger mes affaires du jour, préparer celles de demain, lire un peu et rédiger ce carnet de voyage.

    Avant le diner, je refais un tour sur la moraine avec un autre membre du groupe, histoire de me mettre en appétit. Nous prenons le repas avec nos autres compagnons de route, puis amorçons notre désormais traditionnelle soirée Uno avec nos amis népalais. Pasang ne parlant pas français, nous utilisons pêle-mêle des mots anglais, français et népalais. Je connais désormais le nom des 4 couleurs du jeu en népalais : "arriou" (phonétiquement) pour le vert, "nilo" pour le bleu, "paello" pour le jaune et "rato" pour le rouge.

    Nous enchainons quelques parties avant de regagner notre duvet pour une nuit bien méritée. Quelle belle journée !!!


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